Le travail domestique au Sénégal

Qu’est-ce qui est considéré comme travail domestique ? Qui est travailleur domestique ? La précarité du groupe professionnel des travailleurs domestiques au Sénégal, les marchés du travail domestique, les prix des services domestiques, les types de travailleurs domestiques, les filles domestiques.

Qu’est-ce qui est considéré comme travail domestique?
On entend par travail domestique, par exemple, l’activité des personnes suivantes:
• nettoyeuse/nettoyeur; femme/homme de ménage,
• fille/garçon au pair; baby-sitter,
• garde d’enfants à domicile,
• aide-ménagère,
• concierge,
• ainsi que d’autres personnes exerçant une activité professionnelle dans la maison, dans l’appartement ou autour de la maison.

Bien qu’il existe des textes de loi sur le personnel domestique, le marché de l’emploi reste « informel » et échappe largement aux régulations officielles. La migration qui alimente le marché du travail domestique est de moins en moins tournante et son ancrage s’accompagne de nombreuses réclamations et protestations, en particulier par des stratégies d’instabilité de la part des domestiques caractérisées par la fréquence avec laquelle elles abandonnent leur poste. Le faible salaire offert par les employeurs, leurs exigences vis-à-vis de ce personnel qui travaille près de 12 heures par jour, sans jour de repos, sans congé ni déclaration, rencontrent désormais des travailleuses excédées qui ne subissent plus seulement les remplacements arbitraires mais les provoquent également. Ne jouissant que d’une liberté formelle et étant obligées de travailler, les domestiques s’engagent très vite mais n’hésitent pas à rompre leurs contrats tacites, non écrits et peu avantageux, dès qu’elles trouvent de meilleures conditions de travail ou une rémunération plus élevée.

Cette précarité du contrat de travail plonge les relations entre employeurs et employées dans une crise latente qui affecte les femmes employeuses alors qu’elles comptent de plus en plus sur la participation des domestiques aux tâches ménagères pour pouvoir s’en libérer elles-mêmes. Aussi, elles se tournent vers des institutions qui commencent à naître et à s’organiser pour garantir des domestiques plus stables et fiables, en les formant et en les plaçant mais aussi en exigeant une meilleure rémunération pour elles.

Qui est travailleur domestique ?
Selon l’Arrêté n° 0974 du 23 janvier 1968 déterminant les conditions générales
d’emploi des domestiques et gens de maison du Sénégal dans son article premier, il est stipulé : « Est réputé gens de maison ou domestique, au sens du présent arrêté,
tout salarié embauché au service d’un foyer et occupé d’une façon continue aux travaux de la maison. Le personnel à temps partiel embauché pour une durée inférieure à 20 heures de présence par semaine ne relève pas du présent arrêté et demeure régi par les seules stipulations des parties ».

Où réside la précarité du groupe professionnel des travailleurs domestiques du Sénégal?
Au Sénégal, le travail domestique se déroule dans des conditions précaires manifestes. On y voit souvent l’effet de la reproduction familiale et de celui de l’imitation des membres du groupe d’âge auquel on appartient mais, il y a aussi une entrée massive des filles par suite de rupture scolaire ou de drames familiaux comme le décès du père qui subvenait aux besoins de la famille, le divorce ou le décès du mari (les hommes sont souvent beaucoup plus âgés que leurs épouses).
La précarité du travail domestique peut se mesurer à travers les marchés informels où l’essentiel de ce type de travail s’échange ou encore en examinant les termes des contrats de travail implicites qui s’y nouent et les causes de leurs ruptures. Ainsi, parmi les principales causes de rupture de contrat du travail domestique, nous pouvons noter la maladie et les conflits liés aux horaires et à l’ampleur du travail. Nous trouvons également des motifs stratégiques comme les départs pour trouver un meilleur emploi ou des motifs plus graves comme le harcèlement sexuel.
Les journées de travail sont longues et il n’y a pas de congés hebdomadaires, ni annuels. Il n’y a pas non plus de congés de maternité ni de maladie. De fait, la pénibilité du travail entraîne souvent une dégradation précoce de la santé.

Si nous évaluons les conditions du travail domestique à travers le contenu du travail, ses modalités d’exercice, nous l’évaluons également à travers sa contre partie numéraire c’est-à-dire, à travers le salaire direct ou indirect, les prestations de service ainsi qu’à travers les formations et qualifications requises pour exercer ce travail.
Nous constatons ainsi que, malgré la forte aspiration des travailleuses domestiques à se constituer en groupe professionnel, elles ont beaucoup de mal à se détacher de la forme traditionnelle d’exercice et leur rémunération dépend tout autant des tâches effectuées que des prestations de services comme la nourriture, le logement, le transport, les cadeaux…

Par ailleurs, la rémunération du travail domestique est aussi affectée par le manque de prise en charge médicale des risques du travail et de la vieillesse qui influent directement sur la reproduction et sur le travail des enfants qui prennent la relève en cas d’incapacité des parents, pour assurer la retraite ou pour améliorer le revenu, suivant le modèle de solidarité familiale des communautés domestiques.
Tous ces facteurs de précarité sont issus du poids de la pauvreté et de l’informalité au Sénégal, mais la précarité des travailleuses domestiques est aussi liée aux conceptions courantes de la qualification qui classent le travail domestique dans le secteur informel peu rentable des services aux particuliers.

On pourrait croire retrouver ici l’opposition néoclassique entre les marchés du travail occasionnel non qualifié et ceux du travail permanent qualifié. Mais, le marché non qualifié des travailleuses domestiques n’est plus occasionnel ; une identité professionnelle et des causes communes à défendre collectivement sont nées et, elles contribuent à son établissement. Nous voyons ainsi l’émergence du groupe professionnel des travailleuses domestiques fortement caractérisé par sa précarité.

Comment le groupe professionnel des travailleuses domestiques se constitue-il à travers les marchés ?

Les marchés du travail domestique
La structuration de la nouvelle forme d’organisation sociale et de catégorisation des activités de travail laisse apparaître l’activité du travail domestique qui, au départ, était une étape dans le cycle de vie. Ainsi, le travail domestique devient peu à peu, un cadre d’identification, notamment avec la naissance des formes de coalitions d’acteurs qui défendent leurs intérêts en essayant de contrôler le marché sans arriver à le monopoliser puisque ces formes se multiplient, ni à assurer sa fermeture complète. Ces coalitions essayent de faire reconnaître leur expertise pour justifier leurs prétentions salariales afin de s’assurer une clientèle capable d’y répondre. En exprimant les compétences des travailleuses domestiques, elles réduisent l’incertitude du point de vue de l’employé et de l’employeur. Une incertitude qui, néanmoins, demeure très grande car, malgré les efforts pour fixer le contenu des contrats de travail en énumérant les tâches lors de la négociation, celui-ci demeure fluctuant. Le travail à accomplir est nommé pendant l’entretien mais les tâches opérationnalisées dans l’interaction quotidienne sont souvent redéfinies, après l’engagement.

Prix des services domestiques
Le marché du travail domestique est presque ouvert à tout le monde mais, si sa naissance a été du par la grande substituabilité des travailleuses domestiques (le contenu du travail domestique est très hétérogène et chaque travailleuse doit être capable d’exécuter la majeure partie des tâches), dans les arguments développés lors des entretiens d’embauche, nous notons une grande différentiation des travailleuses, notamment en fonction de ce qu’elles privilégient de faire. Il n’y a donc pas de prix unique du travail domestique, le service domestique ainsi que les prétentions salariales, sont très diversifiés et dépendent de plusieurs facteurs.

Quid de structure des salaires ?
Les employeurs sont invités à appliquer la convention collective du personnel domestique qui fixe un salaire minimum de 40.000 francs Cfa. Les membres du mouvement des employés de maison du Sénégal plaident pour l’application de ladite convention.
En effet, la Convention 189 des Nations-Unies, relative au statut du personnel domestique, prévoit un salaire pour cette catégorie de travailleurs, qui varie entre 40.000 et 50.000 francs Cfa.
En plus de ce salaire dit décent, la bonne doit aussi bénéficier, de la part de son employeur, d’une prise en charge médicale et d’autres avantages en sa faveur.
La structure des salaires nous révèle des déterminants salariaux comme le statut social du travail domestique, l’âge, le sexe, la situation matrimoniale, la résistance à l’effort (la corpulence), l’expérience, l’ethnie… mais c’est également, à travers les coutumes, les normes sociales, les pressions des groupes sociaux que nous arrivons à comprendre la formation des prix.

Quels sont les types de travailleurs domestiques ?
L’article 7 de l’Arrêté n° 0974 du 23 janvier 1968 déterminant les conditions générales d’emploi des domestiques et gens de maison nous en donne la classification :
1ère catégorie : boy ou bonne débutant ou ne pouvant pas justifier de plus de 2 ans de pratique
2ème catégorie : boy ou bonne n’assurant qu’une partie des travaux de la maison notamment le lavage du linge, bonne d’enfants, gardiens logé ou non de maison d’habitation au service d’un particulier.
3ème catégorie : boy ou bonne chargé d’exécuter l’ensemble des travaux courants d’intérieur et justifiant de plus de 2 ans de pratique.
4ème catégorie : boy cuisinier ou bonne cuisinière assurant l’ensemble des travaux d’intérieur y compris la cuisine courante.
5ème catégorie : cuisinier ou cuisinière qualifié de maison.
6ème catégorie : cuisinier ou cuisinière qualifié de popote de plus de 8 personnes.
7ème catégorie : maître d’hôtel.

Quid du travail des filles domestiques ?
D’après un Rapport Complémentaire élaboré par la Coalition Nationale des Associations et ONG en faveur de l’Enfant-Sénégal, CONAFE-Sénégal en sigle, au Comité des Nations s-Unies pour les droits de l’enfants, le travail des jeunes filles domestiques fait partie des pires formes de travail les plus préoccupantes au Sénégal. Avec la ratification de la Convention 182 de l’Organisation Internationale du Travail en 1999 par la loi 99-72, du 14 janvier 1999 et la mise en œuvre des programmes ou projets nationaux en partenariat avec les organismes des Nations Unies (UNICEF, BIT, UNESCO, FNUAP…) et les autres acteurs de la société civile, l’Etat a réaffirmé toute sa détermination pour l’élimination des pires formes de travail des enfants au Sénégal.
Les régions (zones pourvoyeuses) qui sont les plus touchées par l’exploitation des jeunes filles domestiques sont : Fatick, Kaolack et Diourbel, Thiès. La paupérisation croissante du monde rural, conséquences des politiques d’ajustement structurel renforcées, des calamités naturelles, de l’absence d’une politique agricole cohérente et concertée avec les acteurs ont incité les populations rurales à développer des stratégies de survive dont la mise au travail des fillettes et des jeunes filles comme employées de maison.
Parmi la catégorie des jeunes filles de six (06) à quatorze (14) ans, une bonne frange est composée d’élèves. Elles commencent par des emplois saisonniers, c'est-à-dire pendant les grandes vacances afin de mobiliser des ressources pouvant leur permettre de payer des habits neufs et des fournitures scolaires.  
S’agissant des jeunes filles âgées de quinze (15) à dix huit (18) ans, elles sont souvent accueillies par des parents ou de vielles connaissances installées en ville. Les conditions d’hébergement sont souvent si difficiles que l’enfant dans sa recherche de solution à son problème personnel verse dans les activités domestiques rémunérées.
En outre, au delà des filles exclues ou ayant abandonné tôt le système scolaire, il y a bien d’autres, de tout âge, qui se sont spécialisées dans le travail domestique.
Les jeunes filles domestiques n’ont pas d’horaires de travail fixe. Les horaires varient d’un contexte à un autre. Deux pratiques existent à ce niveau :

  • Pour celles qui logent avec leur patron, les heures de travail ne sont jamais définies. La fille travaille à n’importe quelle heure en fonction de l’humeur du patron;
  • Les filles qui ne logent pas avec leur patron ont moins de problèmes que les premières au point de vue horaire de travail ; même si toutes deux n’ont ni week-end ni de jour férié. Les secondes après la descente ne sont plus sous contrôle des patrons.  En cas de maladie ou de contrainte familiale certains patrons n’hésitent pas à défalquer de leur revenu mensuel modique (entre 7500 et 15 000 FCFA) le nombre de jours d’absence.

Quelles sont les conséquences néfastes de ce travail sur les enfants et les jeunes filles?

  • Dans la pratique, l’enfant commence à travailler très tôt, à l’âge de six (6ans) et à l’adolescence (14-15 ans). Elle abandonne donc précocement l’école et parfois même elle ne l’a jamais fréquentée. Aussi, elle n’a pas le temps matériel pour suivre une formation.
  • Le problème récurrent est le harcèlement sexuel, dans leur lieu de travail soit avec leur patron, les fils de leur patron ou un membre de sa famille d’embauche ou alors dans leurs foyers.
  • Il arrive que la fille cède et s’en sorte avec une grossesse précoce ou non désirée. L’enfant naturel qui naît de cette grossesse est mal accepté, ce qui est à l’origine de la plupart des cas d’infanticides ou la non reconnaissance notée chez cette catégorie sociale.
  • Les filles domestiques sont aussi l’objet de viol mais pour des raisons de pudeur ces viols ne sont pas souvent déclarés.
  • Les filles, élèves, qui s’adonnent à cette activité pendant les vacances scolaires finissent par tomber dans la facilité, abandonnent l’école par faute de motivation, par mimétisme ou par de mauvaises conditions d’hébergement en ville au cours de l’année scolaire.
  • Les employées de maison sont souvent accusées de vol de bijoux, d’argent, de vaisselles, etc. Elles sont à la merci de leur patronne qui n’hésite pas à les renvoyer sans motif ni préavis et sans percevoir leur dû.
  • Elles ne bénéficient ni de couverture médicale, ni de jours de repos encore moins de congés. Elles sont victimes de violence morale, d’un manque de respect et sont discriminées par rapport aux membres de la famille de leur employeur.

Quelle est la contribution de certains acteurs sociaux (associations et ONG) ?
Les initiatives de lutte contre l’exploitation des enfants et des travailleurs ont poussé les employées de maison à négocier leur horaire de travail conformément aux heures de formation. l’Association des Enfants et Jeunes travailleurs du Sénégal mène diverses activités de sensibilisation des autorités, des parents et des enfants eux mêmes pour le respect de dix droits qu’elle a identifiée sur la base des vécus des enfants travailleurs, notamment les droits à l’éducation, à la santé, à la formation, au respect et de justice en cas de conflits. Des campagnes de sensibilisation sont menées en direction des employeurs. Chaque année, à travers l’AEJT, les employées de maison fêtent la journée de l’Enfant Africain et célèbrent la fête du travail. Malgré ce début d’organisation, et la défense par elles mêmes de leurs propres droits, de nombreux obstacles subsistent encore.

Sources:
Arrêté n° 0974 du 23 janvier 1968

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